Dans une époque marquée par l’infobésité et la désinformation (infox, théories du complot, fausses informations scientifiques et médicales ou simplement effet déformant des communications en ligne), comment les Français se situent-ils par rapport à l’esprit critique, c’est-à-dire la capacité à trier et qualifier l’information disponible, à élaborer leur propre jugement, à mettre en question leurs convictions et au bout du compte, à penser librement ?
 

Une première enquête par panel a été réalisée par le cabinet Gece entre le 17 et le 28 février 2022 auprès de 3 218 Français selon la méthode des quotas (quotas portant le genre, l'âge, la catégorie socioprofessionnelle, le niveau de diplôme et la région des répondants) en les interrogeant sous trois prismes :

- leur rapport à la science, le raisonnement scientifique et les méthodes propres à la science étant consubstantiels de l’esprit critique ;
- leurs sources d’information, notamment sur les sujets scientifiques, pour comprendre comment ils construisent leur compréhension de l’actualité ;
- leur rapport au débat d’idées et à l’altérité dans le raisonnement.
 


À l'occasion de la Journée internationale de l'esprit critique, Universcience présente, en exclusivité, les résultats de son premier Baromètre de l'esprit critique en présence d'experts et de scientifiques.

Table ronde avec : Charlotte Barbier, doctorante en sciences de l'éducation sur l'esprit critique au collège, Université de Paris, vulgarisatrice en sciences sociales sur la chaîne YouTube "Les langues de Cha' " ; Isabelle Féroc-Dumez, directrice scientifique et pédagogique du CLEMI, maître de conférences en information et communication, Université de Poitiers, laboratoire TECHNÉ ; Antonio Gomes da Costa, directeur de la médiation scientifique et de l'éducation, Universcience. 
Modération : Thomas Huchon, journaliste, "Anti Complot" sur LCI, enseignant à Sciences Po Paris.
 



Globalement, les éclairages de cette première enquête font apparaitre :
 

  • Un profil dit scientifique, plutôt masculin, jeune et diplômé
     
  • Une réelle appétence des Français à 89% pour les sciences, la culture scientifique partie intégrante de la culture générale
     
  • Avec des modalités d’information qui plébiscitent la télévision et internet pour les + de 50 ans, les plus jeunes privilégiant des réseaux, une primauté accordée à l’audiovisuel
     
  • Un retour en force de la légitimité et crédibilité des médecins, des scientifiques, des chercheurs et des journalistes scientifiques face à la pandémie
     
  •  Un esprit critique développé pour une majorité de Français, ouvert à l’échange d’idées, au débat, à la contradiction, le souci d’avoir une multiplicité de sources d’informations chez les plus diplômés

 

 

Les enseignements de l’étude
 

Un intérêt marqué pour la science, mais avec des disparités socioéconomiques et de genre

Si seulement 22% des sondés citent "les sciences" parmi leurs centres d’intérêt principaux, et si leur souvenir scolaire en est contrasté (62% gardent un bon souvenir de leurs cours de Sciences et Vie de la Terre, 50% d’entre eux, des cours de maths, mais seulement 40% des cours de physique - chimie), l’étude montre le dynamisme de la culture scientifique dans notre pays : 81% des sondés regardent des documentaires scientifiques, 67% consultent des sites traitant de sujets scientifiques sur Internet et 64% des vidéos sur YouTube – primat, donc, de l’image.

59% lisent des ouvrages ou des articles scientifiques, et 54% visitent des expositions et des musées scientifiques ou techniques. 61% d’entre eux ont une pratique scientifique régulière, visite d’expositions principalement (53%) mais aussi reproduction d’expériences scientifiques à la maison (31%) ou collaboration à des expériences de science participative (27%). La quasi-totalité d’entre eux (93%) ont en outre déjà visité un lieu de sciences (zoo ou aquarium, muséum d’histoire naturelle, planétarium, centre de sciences …).  
 

  • Que pensent-ils de la science ?

Une très large majorité la voient comme permettant de développer des nouvelles technologies utiles à tous (88%), de mieux comprendre notre monde (87%), d’améliorer nos conditions de vie (85%).
En revanche, pour 53% d’entre eux, les théories scientifiques ne sont que des hypothèses parmi d’autres, et seuls 51% des sondés répondent positivement à la question de savoir si la science est la seule source d’information fiable sur le monde. Enfin, si 43% pensent que la communauté scientifique est indépendante pour valider ses découvertes, 40% pensent le contraire. 
 

  • Cinq catégories se détachent dans le rapport à la science : 

- "passionnés" de science (23,5% ; hommes majoritairement, moins de 40 ans, CSP hautes et intermédiaires, élèves et étudiants, bac +2 et plus),
- "intéressés" (25% ; bac +5 et plus, se définissant plutôt comme scientifiques) ;
-  "modérés" (26% ; femmes, 60 ans et plus, retraités, niveau d’étude inférieur au bac, ni scientifiques ni littéraires),
-  "éloignés" (15% ; femmes, 40 – 49 ans et 70 ans et plus, retraités, niveau d’études inférieur au bac, ni scientifiques ni littéraires)
- "réfractaires" (10,5% ; femmes, 50 – 59 ans, CSP populaires, niveau d’études inférieur au bac, ni scientifiques ni littéraires). 
 

La télévision et Internet plébiscités pour s’informer, les médecins et les scientifiques jugés dignes de confiance 

  • Comment les sondés suivent-ils l’actualité ?

Deux piliers se détachent, la télévision pour 68% d’entre eux (c’est même le premier moyen pour 29% des sondés), et Internet (hors réseaux sociaux : moteurs de recherche, sites médias) pour 73%. Viennent ensuite les proches (50%), la radio (46%), la presse papier et les réseaux sociaux (40%).
Pour l’information sur les sujets scientifiques, priorité est accordée aux médias traditionnels :  les émissions à la télévision et à la radio (44%) et les journaux sur ces mêmes supports (43%) arrivent en tête, loin devant les sites internet scientifiques (27%) ou la presse spécialisée (25%).
Les sondés regardent en outre de façon contrastée la multiplication des sources d’information disponibles, 48% en ayant un ressenti positif, 31% un ressenti négatif, 8% un ressenti à la fois positif et négatif, 3% ne se positionnant pas. 

 

  • L’enquête permet également de distinguer 4 grands types parmi les sondés :
     

- 43% d’amateurs prioritaires de la télévision (50 ans et plus, retraités, niveau d’étude inférieur au bac, ne se déclarant ni scientifiques ni littéraires),
- 26% d’utilisateurs polyvalents de tous les types de médias (moins de 30 ans, CSP hautes et intermédiaires, Bac + 5 et plus, se considérant autant scientifiques que littéraires),
- 16% d’utilisateurs principaux d’Internet, de la PQR et des applications TV et radio (40 à 49 ans, CSP populaires)
- 18,5% de personnes recourant d’abord aux réseaux sociaux et agrégateurs d’informations en ligne (moins de 40 ans, CSP intermédiaires et populaires, élèves et étudiants, plutôt scientifiques).
 

Dans le contexte plus spécifique de la crise sanitaire, interrogés sur les émetteurs qui ont leur confiance, ce sont les médecins qui arrivent en tête, 51% des sondés faisant confiance à la majorité d’entre eux, mais 38% “seulement à certains”. Scientifiques et chercheurs sont suivis dans des proportions similaires (44% des sondés font confiance à la majorité d’entre eux, 40% à certains).

Ce distinguo est encore plus marqué pour le cercle amical et professionnel (20% de confiance globale, 54% de confiance “sélective”), les journalistes scientifiques (27% contre 47%) et les journalistes généralistes (14 / 51), ou encore les représentants politiques (8 / 36). Représentants religieux (7 /19) et influenceurs (4 / 17) arrivent en dernier.
 

Un appétit de débat et d’ouverture à autrui

  • La France est-elle ouverte d’esprit ? 

Les sondés répondent positivement, 86% d’entre eux se déclarant ouverts à toute nouvelle idée, et 81% affirmant prendre en compte un maximum d’opinions sur chaque sujet.
51% préfèrent discuter avec des personnes qui ne pensent pas comme eux – 39% déclarent le contraire, et si 50% consultent “beaucoup” d’opinions différentes avant de se faire une idée, 43% déclarent l’inverse.

Ces principes sont fréquemment mis en œuvre puisque 73% des sondés débattent ou discutent, souvent ou de temps en temps, sur des sujets de société ou scientifiques, principalement au cours d’échanges entre amis (64%) ou au cours du repas de famille (63%). 65% des sondés pensent en outre complémentaires l’esprit critique, et la liberté d’expression, complémentaires.
 

Comment, enfin, définir l’esprit critique ? 

Être capable de changer d’avis (52%), raisonner logiquement et rationnellement (51%) et être capable d’échanger avec des personnes aux idées différentes (50%) arrivent en tête parmi les définitions proposées aux sondés. Inversement, la remise en question de la parole des autorités (27%), le doute systématique (24%) et la méfiance envers ses propres intuitions (21%) arrivent en bas de classement.