Comment nos concitoyens voient-ils et pratiquent-ils les sciences ? Quels médias utilisent-ils pour s’informer ? Font-ils plus confiance, sur les sujets scientifiques, aux chercheurs, aux responsables religieux ou aux influenceurs ? Pour se forger leur opinion, s’appuient-ils plutôt sur leurs intuitions ou sur l’avis d’autrui ?

Pour apporter des éléments de réponse à ces questions et comprendre le degré d’appropriation de l’esprit critique au sein de la population, Universcience présente la deuxième édition de son Baromètre de l’esprit critique, réalisé par Opinion Way.

PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DU BAROMÈTRE DE L'ESPRIT CRITIQUE / ÉDITION 2023

 

Les enseignements de l’étude
 

Pas de rupture entre les Français et la science, mais des disparités générationnelles, socio-économiques et de genre

Les résultats du Baromètre 2023 (sondage effectué en ligne en janvier 2023 auprès de 2048 personnes représentatives de la population française âgée de 18 ans et plus) confirment ceux de la première édition : la science fait partie de la vie quotidienne des Français.

- 23% des sondés la citent comme centre d’intérêt - plus que l’actualité économique ou que les beaux-arts par exemple.
- Pour 81% d’entre eux, elle fait partie de la culture.
- Deux sur cinq se considèrent scientifiques ou autant scientifiques que littéraires et la moitié d’entre eux garde un bon souvenir des sciences à l’école, tout particulièrement des sciences de la vie et de la Terre (58%).

► Cet intérêt se confirme dans leurs actes et leurs pratiques :

  • 58% ont fréquenté un lieu ou musée de sciences au moins un fois dans les trois dernières années
  • 38% pratiquent des activités scientifiques au moins de temps en temps (16% des expériences scientifiques à leur domicile)
  • 55% s’informent sur des sujets scientifiques au moins une fois par mois, notamment en consultant des documentaires ou en naviguant sur Internet. Comme en 2022, l’analyse fine des pratiques informationnelles des sondés confirme l'importance, quasiment à niveau égal d’Internet (principale source d’information pour 80% d’entre eux) et de la télévision (69%). La hiérarchie change en revanche pour ce qui est de la confiance accordée aux médias, la radio repassant en tête (55%) devant Internet (39%) et les réseaux sociaux (37%). 
     

► Dans le détail, des sous-groupes se distinguent cependant à parts égales :

  • d’un côté, des “passionnés(14%) ou simplement “intéressés(35%) par la science, plus jeunes, diplômés, curieux d’information et de culture scientifique pour les uns, plus masculins et âgés pour les autres.
  • de l’autre, des sondés “irréguliers” (40%) qui ont une pratique de la science moins régulière que celle de la moyenne, de profil plus féminin, issus de catégories populaire et peu ou pas diplômés, et des “distants” (11%), là encore de profil plus féminin et peu ou pas diplômés, résidant d’avantage dans des petites villes et sans pratique scientifique.
     

► Ces sous-groupes permettent de caractériser la perception de la science qu'ont les répondants :

  • 77% d’entre eux pensent qu’une affirmation a plus de valeur si elle a été validée scientifiquement, proportion qui baisse de près de 10 points (69%) chez les “distants”.
  • Inversement si 29% des sondés pensent qu’un résultat scientifique ne peut pas être discuté ou débattu, le score monte à 52% chez les “passionnés”.
  • Un certain relativisme, enfin, affleure chez les “distants”, qui ne sont que 43% à déclarer que la science est la seule source de savoir fiable sur le monde (sur l’ensemble du panel, une légère majorité - 51% - se dégage en faveur de cette affirmation, dont l’approbation monte à 66% chez les passionnés), et 39% à croire en l’indépendance de la communauté scientifique (contre 40% pour l’ensemble du panel et 70% pour les passionnés).
     

 

Une majorité convaincue du réchauffement climatique, mais une proportion non négligeable de sondés dubitatifs et une confiance inégale envers les institutions

► Spécificité de cette édition 2023, le Baromètre a interrogé les Français sondés sur leur compréhension de la crise climatique.

  • Si une majorité d’entre eux lient le réchauffement au CO2 produit par les activités humaines et pensent que le réchauffement climatique lui-même fait consensus parmi les scientifiques (63%), plus d’un tiers des répondants ne sont pas d’accord ou ne se prononcent pas sur ces questions.
  • De même, 22% des sondés pensent que la récente vague de froid aux États-Unis dément le réchauffement climatique, 12% ne se prononçant pas.
     

► Par ailleurs, à qui font-ils confiance pour parler du dérèglement climatique ?

  • Comme pour la crise sanitaire dans le Baromètre 2022, les scientifiques sont vus comme étant les plus crédibles, avec une confiance à 42% pour les climatologues, 35% pour les autres scientifiques et les centres et musées de science, 30% pour les journalistes scientifiques.
     
  • La défiance est en revanche avérée envers les entreprises (12% de confiance) et les responsables politiques (10%), que les sondés situent au même niveau de confiance que les influenceurs et les représentants religieux.

 

 

Une formation et un exercice de la pensée critique d’abord dans la sphère privée et scolaire

► Comment les sondés définissent-ils l’esprit critique ?

Trois réponses arrivent en tête :

1. faire preuve de raisonnement logique et rationnel (48 %)
2. s’informer avant de prendre position (48%)
3. être capable d’échanger avec des personnes ne pensant pas comme eux (43%).

Inversement et comme l’an dernier, “se méfier de ses intuitions” n’arrive qu’en fin de classement (18%), révélant une large ignorance des biais cognitifs et de leurs risques.
 

► Auprès de qui les sondés ont-ils développé leur esprit critique ?

Les sondés citent d’abord leurs parents (72%) puis, au même niveau, leurs enseignants et leurs amis (68%), loin devant les personnalités scientifiques (47%) et les journalistes (40%) - prédominance, donc, de la sphère privée et scolaire.

Conjointement, si une large majorité (74%) pense que la pratique des sciences prépare l’esprit critique, ce sont les sciences humaines qui ressortent en premier, devant les sciences dures, comme meilleure formation à celui-ci. Un esprit critique qu’ils semblent mettre en œuvre, puisque 80% d’entre eux disent être prêts à changer d’opinion sur la base de raisons convaincantes et 75% jugent important de remettre en cause des croyances traditionnelles en s’appuyant sur des preuves logiques et rationnelles. Ils peuvent le faire en débattant de sujets de société ou scientifiques, pratique répandue pour 65% d’entre eux entre amis et pour 61% durant le repas de famille, mais pas au travail (32%) ni sur les réseaux sociaux (23% seulement pour l’ensemble des sondés).
 

► Quels profils-types dégager ?

  • Des “analystes” (57%), plus âgés et diplômés, consommateurs de médias traditionnels, plus scientifiques et susceptibles d’être convaincus par un raisonnement ou de remettre en cause des croyances.
  • Des “confiants” (20%), plus jeunes, urbains, confiants envers la science et les médias.
  • Des “méfiants” (13%), plus jeunes, moins diplômés, préférant Internet et les réseaux sociaux aux médias traditionnels, plus climatosceptiques et moins enclins à s’ouvrir à d’autres opinions (que les leurs) que la moyenne.
  • Enfin des “éloignés” (10%), population plus rurale et féminine, moins diplômée et moins consommatrice d’informations, à la fois faiblement engagée sur la science et ayant du mal à se positionner par rapport à leur esprit critique.


 

Et les jeunes ? Des 18 – 24 ans curieux, connectés et mobilisés sur le climat

► Comment les jeunes se positionnent-ils sur ces sujets par rapport au reste de la population ?

La question a été fréquemment posée dernièrement dans le débat public et le Baromètre lui apporte un nouvel éclairage.

  • Les 18-24 ans y apparaissent comme plus régulièrement en contact avec la science que leurs aînés, que ce soit pour la fréquentation des lieux et musées de science (78% contre 58%), l’information régulière sur les sujets scientifiques (74% contre 55%) ou la pratique d’activités scientifiques (61% contre 38%).
     
  • Autre différence générationnelle, les canaux d’information : pour accéder à l’actualité, c’est l’entourage (69 %), Internet (67%) et les réseaux sociaux (54%) qui s’imposent, loin devant les “vieux” médias (le premier d’entre eux, la télévision, pour 33% seulement).  Ils ne font pas confiance non plus aux mêmes médias, accordant plus de crédibilité que leurs aînés aux réseaux sociaux (42% contre 29%) mais moins à la télévision (25% contre 37%).
     
  • L’importance de la crise climatique à leurs yeux ressort également de l’étude. Ils sont plutôt plus nombreux que la moyenne des Français à affirmer que le réchauffement climatique fait consensus chez les scientifiques (65% contre 63%), et que le CO22 produit par les activités humaines en est la principale cause (67% contre 63%). Différence - sensible - également sur la perception du rôle de l’abandon des énergies fossiles pour réduire notre impact environnemental (64% contre 57%). La confiance est en outre plus forte dans cette tranche d’âge envers les centres et musées de science (51% contre 35%%), les climatologues (48% contre 42%), les ONG (46% contre 28%), les youtubeurs scientifiques (38% contre 13%) … et même les représentants politiques, même s’ils restent tout en bas du classement (25% contre 10%).
     
  • Pour autant, quelques discordances ressortent également. Les 18-24 ans sont plus nombreux que les autres Français à douter du réchauffement climatique au regard de la vague de froid aux États-Unis (37% contre 22%), de même, plus généralement, qu’ils partagent moins l’idée qu’une affirmation a plus de valeur si elle a été validée scientifiquement (70% contre 77%) ou celle selon laquelle la science doit douter de tout ce qui n’a pas été prouvé (68% contre 81%). Enfin, plus d’un jeune sur deux ne se définit pas comme ayant l’esprit critique, et 57% d’entre eux préfèrent parler avec des personnes qui partagent leur opinion (contre 42% pour l’ensemble des sondés).

 

France, Royaume Uni : pas de Brexit culturel sur la science et l’esprit critique

► Pour cette deuxième édition et dans une perspective d’européanisation, le Baromètre a également interrogé les citoyens britanniques.

  • Ce sont d’abord les proximités entre les deux populations qui ressortent : même niveau d’intérêt pour la science, même (bon) souvenir des sciences à l’école, même fréquence d’information sur la science ou de visite de lieux scientifiques...
     
  • Quelques différences remontent malgré tout, par exemple sur l’usage d’Internet pour s’informer ou sur la conviction que l’abandon des énergies fossiles permettra de réduire notre impact environnemental (deux items plus prégnants au Royaume Uni). L’extension ultérieure du Baromètre à d’autres pays voisins permettra de vérifier s’il y a bien une forme de “conscience européenne” sur ces questions.