Chaque année, le Baromètre de l'esprit critique, enquête sur le rapport de nos concitoyens à la science et aux médias et sur la construction de leur opinion, interroge, outre ses thématiques pérennes, un sujet d'actualité. 

L'édition 2024 du Baromètre, réalisé par OpinionWay pour Universcience, questionne le rapport de nos concitoyens à l'IA. Quels usages les Françaises et les Français font-ils aujourd'hui de l'intelligence artificielle et de ses applications ? Quelle confiance leur accordent-ils et comment voient-ils son avenir ? L'intelligence artificielle, plutôt une menace ou une opportunité ?

Découvrez l’édition 2024 du Baromètre de l’esprit critique : résultats de l’enquête, synthèse, table ronde…

 

Table ronde - Présentation des résultats du Baromètre de l'esprit critique / ÉDITION 2024

Les Français et l'intelligence artificielle

IA, IA génératives : des Français intéressés, mais qui ne sont pas prêts à leur laisser piloter un avion ou prescrire un médicament

Comment les Françaises et les Français perçoivent-ils le sujet de l’IA - focus 2024 du Baromètre de l’esprit critique - et notamment celui des applications des IA génératives, omniprésentes dans l’actualité depuis l’émergence de ChatGPT ?

Si 61% des sondés y voient une révolution technologique majeure du niveau de celle de l’imprimerie (plus de 70% pour les moins de 34 ans), ils sont plus nombreux, respectivement 85% et 77%, à penser nécessaire sa réglementation et à affirmer qu’elle pose de nouvelles questions éthiques et juridiques. Concernant les possibilités de ces technologies, 68% répondent que les applications de l’IA ne peuvent pas prendre de décisions autonomes, 59% qu’elles ne sont ni créatives ni innovantes (car assemblant des contenus déjà existants) et seuls 19% les croient parfaitement fiables (une large majorité - 69% - affirmant le contraire). Quant à savoir si elles sont « plus neutres que les humains », le panel est plus divisé : 42% répondent par l’affirmative, 38% le contraire et une proportion importante (20%) ne se prononce pas.

Interrogés sur les effets du développement de l’IA sur différents secteurs, les répondants font preuve d’une perception nuancée, la réponse « autant de risques que d’avantages » arrivant presque systématiquement en tête. C’est en revanche la perception du risque qui domine pour le domaine des relations humaines (37%, contre 31% « autant de risques que d’avantages » et 10% « essentiellement des avantages »), et qui ressort également fortement pour l’information (33%) et pour l’emploi (31%), même si 34% des répondants voient également « autant de risques que d’avantages » pour ces deux domaines. Inversement, c’est pour la santé (29%), la recherche et les sciences (28%) et les transports (26%) que le taux de répondants prévoyant essentiellement des avantages est le plus élevé - même si sur tous ces sujets, c’est encore la vision nuancée qui prédomine (« autant de risques que d’avantages » à respectivement 35, 36 et 33%).

De manière générale, les CSP+ sont plus nombreuses que les CSP- à voir essentiellement des avantages à ces applications de l’IA. Par ailleurs l’enquête souligne la spécificité des 18-24 ans pour lesquels, à la différence de la population générale, la perception des avantages de l’IA l’emporte fréquemment plus nettement. Concernant par exemple les transports et la mobilité, 40% des 18-24 ans considèrent que le développement de l’IA présentera essentiellement des avantages, 20% autant de risques que d’avantages, et 19% essentiellement des risques.

Questionnés sur les types de tâches que peut prendre en charge l’IA, les répondants se fient majoritairement à elle pour détecter des erreurs (75%), analyser de grandes quantités de données (73%), trouver des informations (70%) ou même écrire un texte (64%) ; en revanche, la défiance domine quand la question de responsabilité entre en jeu, qu’il s’agisse de rendre des décisions de justice (25% de confiance), de piloter un avion (28%) ou une voiture (34%), ou encore de prescrire des médicaments (33%) ou de réaliser un diagnostic médical (41% de confiance).

À qui faire confiance pour évaluer les risques et les bénéfices de cette nouvelle technologie ?
Dans la continuité des questions similaires posées les années précédentes (en 2023 sur le changement climatique, en 2022 sur le Covid-19), le panel plébiscite d’abord les scientifiques (68%), les musées et centres de culture scientifique (59%) et les journalistes scientifiques (56%). En revanche, la méfiance prédomine envers les entreprises et notamment les entreprises du numérique type GAFAM (34 et 29% de confiance), de même qu’envers les élus et représentants politiques (22%).

Quel rapport les Français ont-ils aux IA génératives ?

Le Baromètre 2024 sonde également ses répondants sur les IA génératives (type ChatPGT ou Midjourney) en particulier.

65% du panel en ont déjà entendu parler, mais seulement 23% en ont déjà utilisé, 34% ne sachant pas de quoi il s’agit. On note également un clivage de genre, de catégorie socio-professionnelle et d’âge, le taux de connaissance étant inversement proportionnel à l’âge (la proportion d’usage est quant à elle significativement plus importante chez les moins de 24 ans – 46%), tandis que les hommes (70%) et les CSP+ (77%) sont plus nombreux à avoir entendu parler de ces technologies et à les utiliser. Parmi les utilisateurs des applications de l’IA générative, c’est l'usage informationnel (68%) qui prédomine, suivi de la traduction (61%) et de la rédaction de texte (59%). Et si 87% des usagers sont impressionnés par la vitesse (87%) et la qualité (74%) des productions de ces IA, une proportion à peu près équivalente d’enquêtés (8 sur 10) déclare s’interroger sur leur fiabilité (78%) et comparer les résultats obtenus avec ceux d’autres sources (80%). Cet usage de l’esprit critique à l’égard des productions de l’IA connaît toutefois quelques variations : il s’exprime plus nettement chez les hommes que chez les femmes. Par ailleurs la pratique du croisement des résultats obtenus à partir de plusieurs sources d’informations augmente régulièrement avec l’âge : 74% chez les 18-24, 94% chez les 65 et plus.

« L’ubérisation » du « génie » ne semble toutefois pas à l’ordre du jour, 74% des sondés ne pensant pas qu’une IA puisse recevoir un jour le Prix Nobel – proportion qui baisse néanmoins à 59% chez les 25-34 ans, autre signe de la plus grande appropriation de ces technologies par les jeunes générations.

Les Français et les sciences

Un intérêt confirmé pour la science, mais des interrogations éthiques et des disparités de genre, économiques et territoriales

Le Baromètre 2024 confirme par ailleurs les grands enseignements des deux éditions précédentes pour le rapport des Françaises et des Français à la science.

Dans l’actualité, les sujets scientifiques, comme ceux relatifs aux nouvelles technologies, intéressent 69% des sondés - c’est plus que le sport (48%) ou même la politique (61%). 61% des répondants déclarent avoir des activités à caractère scientifique au moins une fois par mois (indicateur en hausse de 6 points par rapport à 2023), avec en tête la consultation de documentaires (42%), de sites internet (37%) et de vidéos sur le web (32%). De même, 41% des sondés ont des activités scientifiques dans le cadre de leurs loisirs, visites d’exposition en tête (27%). Interrogés plus précisément sur les domaines scientifiques et technologiques qui les intéressent, ce sont la santé (41%) ainsi que le climat et l’écologie (31%) qui ressortent en tête - l’écologie étant plus citée par les répondants se classant à gauche. De fortes disparités de genre apparaissent néanmoins, 16% des femmes seulement par exemple déclarant s’informer régulièrement sur le numérique et l’IA, contre 36% pour les hommes ; de même pour l’énergie et le nucléaire, qui intéressent 36% des hommes, mais 15% des femmes interrogées.

On retrouve quatre groupes qui se dégagent au sein de la population interrogée, pour ce qui est du rapport aux pratiques scientifiques, dans des proportions stables par rapport aux éditions passées : des « distants » (8%) et des « irréguliers » (42%), au profil plus féminin (et âge de 50 à 64 ans pour les distants), plus issus des catégories populaires, peu ou pas diplômés, résidant plus dans des petites communes, d’une part ; d’autre part, des « intéressés » (36%, plus masculins, âgés, diplômés et CSP+, qui s’informent régulièrement sur les sciences) et des « passionnés » (14%, plus jeunes et diplômés, CSP+, résidant dans des grandes agglomérations, plus souvent parents de jeunes enfants, s’informant sur la science et visitant plus de lieux de science).

Quelle image les sondés ont-ils des sciences ? 

Dans leur grande majorité — 8 à 9 enquêtés sur 10 — les sondés jugent très positivement la science et ses apports : elle permet à leurs yeux non seulement de mieux comprendre qui nous sommes (85%) tout comme le monde dans lequel nous vivons (88%), mais elle améliore les conditions de vie (86%), notamment à travers de nouvelles technologies utiles à tous (88%).  Ces attitudes positives entrent toutefois en tension avec des jugements plus réservés sur la capacité de la science « à rendre l’homme meilleur » (65%) ou sur celle des scientifiques à être les mieux placés « pour savoir ce qui est bon pour les citoyens ». Une proposition qui ne convainc qu’un peu plus d’un enquêté sur deux (55%) avec une variation notable en fonction de l’âge, les plus jeunes étant plus enclins à s’en remettre aux scientifiques que leurs aînés.

De façon très majoritaire, les enquêtés s’accordent pour considérer que les scientifiques, par leurs connaissances, ont un pouvoir qui peut les rendre dangereux (72%). Un jugement qui ne connaît que très peu de variations en fonction des variables sociodémographiques. Sur un autre plan, si 80% des sondés pensent qu’une affirmation validée scientifiquement a plus de valeur, seuls 48% pensent que la science est la seule source fiable de savoir sur le monde, 42% répondant le contraire et 10% ne se prononçant pas. Enfin, du point de vue de l’éthique professionnelle, 60% des sondés pensent que les scientifiques suivent des règles éthiques strictes (proportion qui monte à 69% chez les sondés se déclarant à gauche), mais seuls 51% répondent que la communauté scientifique est indépendante pour valider ses résultats.

Quelles disciplines les Français considèrent-ils comme scientifiques ?

Nouvelle question de l’édition 2024 enfin, les sondés étaient invités à évaluer la scientificité de plusieurs disciplines. Si, sans surprise, la chimie, la médecine et la biologie se détachent (77/76% répondent que « c’est une science »), les sciences humaines (archéologie : 49%, sociologie : 32%) reçoivent des réponses moins tranchées. L'économie se retrouve quant à elle en bas de classement, 26% des répondants la considérant comme une science (31% « cela dépend des cas » et 33% « non »), ce qui la situe derrière l’homéopathie (27 / 30 / 32) et l’ostéopathie (33 /34 /23).

Cette édition 2024 met par ailleurs en évidence une spécificité des 18-24 ans qui accordent plus facilement que la population générale le statut de science à l’ensemble des domaines représentés, y compris des domaines non reconnus comme scientifiques comme l’homéopathie (+9 pts) ou l’astrologie (+13 pts).

Les Français et l'esprit critique

Un rapport à l’esprit critique différencié

Les Françaises et les Français font-ils preuve d’esprit critique ?

Si la majorité des répondants se définissent comme ayant l’esprit critique (75%), un quart répond par la négative ou ne se prononce pas. Quand on leur demande de définir l’esprit critique, ce sont d’abord le raisonnement logique et rationnel (44%), le fait de s’informer avant de prendre position (42%) et la capacité d’échanger avec des personnes aux opinions divergentes (41%) qui ressortent.

Comme les années précédentes, la capacité à se méfier de ses propres intuitions – indispensable pour essayer de s’émanciper des biais cognitifs – ressort beaucoup moins (14%), tout comme la remise en question de la parole des autorités (16%). Une nette majorité considère pouvoir changer d’opinion sur la base de raisons convaincantes (82%), dit comparer différents points de vue avant de se faire son opinion (78%) et pense important de remettre en question les croyances traditionnelles avec des preuves logiques et rationnelles (77%).

En revanche, 46% préfèrent échanger avec des personnes partageant leur opinion – contre 45% qui répondent le contraire. Débats qui ont lieu principalement au cours d’échanges entre amis (63%) ou de repas de famille (59%) et, dans une moindre mesure, lors de discussions au travail (41%). Les réseaux sociaux apparaissent comme étant beaucoup moins utilisés à cette fin par l’ensemble du panel (22%), même si la proportion augmente significativement chez les jeunes (34% chez les 18-24 ans et même 44% chez les 25-34 ans font état d’un usage régulier ou épisodique des réseaux sociaux pour débattre).

Interrogés sur les enseignements qui leur ont permis de développer leur esprit critique durant leur scolarité, les sondés pointent majoritairement le français et la littérature – les mathématiques étant deux fois moins citées. Les parents (75%), les enseignants (78%), les amis (73%) et, dans une moindre mesure, les auteurs lus (68%) ressortent comme contribuant le plus à la formation de l’esprit critique.

Le rapport à l’esprit critique permet de distinguer quatre autres groupes chez les répondants43% d’« analystes », tout d’abord, population plus âgée et qui se définit comme plus à gauche politiquement consommatrice de médias traditionnels, attentive à la qualité de l’information, convaincue de l’intérêt de la science et valorisant l’esprit critique, notamment quant aux résultats de celle-ci. 30% de « confiants », plus masculins, plus jeunes et se définissant plus à droite politiquement que la moyenne, qui déclarent faire preuve d’une forte curiosité, se considèrent plus comme scientifiques, font plus confiance aux médias et à la science que la moyenne et s’associent plus à l’esprit critique. 15% d’« éloignés », plus issus des catégories populaires et moins diplômés, s’informant avec moins de sources d’information, éloignés de la science et moins concernés par l’esprit critique. Enfin, 12% de « défiants », eux aussi moins diplômés, défiants par rapport à la science et à ses résultats, montrant un autre rapport à l’esprit critique (qu’ils pensent moins avoir que les autres, qu’ils associent moins aux sciences et plus à la capacité à prendre la bonne décision). « Éloignés » et « défiants » résident plus dans les petites communes.

Comment s'informent les Français ?

Des pratiques informationnelles traversées par des différences générationnelles, politiques et de genre

Les pratiques des sondés en matière de suivi des actualités ont peu évolué depuis l’an dernier : Internet (hors réseaux sociaux, 71%) et la télévision (67%) sont toujours leurs deux principales sources d’information, avec de fortes différences générationnelles (voir plus loin le focus 18-24 ans). Même si l’écoute de la radio est en léger recul, elle demeure le média qui suscite le plus la confiance (55%).

Lorsqu’ils s’informent sur Internet, les répondants utilisent des stratégies variées pour évaluer la fiabilité d’une information. Leurs principaux critères sont les mêmes que dans la précédente édition et sont liés au média dont elle est issue (39%), au contenu et à l’argumentation (37%) et aux références à d’autres sources (35%). Le caractère indépendant du média progresse fortement (29%, +7 points). Le fait qu’un chercheur ou expert partage l’information n’est un critère que pour 11% du panel.

Dans le détail, des disparités apparaissent cependant. Les sondés qui se positionnent à gauche de l’échiquier politique donnent plus de poids au média qui diffuse l’information (49% contre 39% de ceux qui se situent à droite), au contenu et à l’argumentation (47% contre 36%), aux références à d’autres sources (43% contre 34%) et au caractère indépendant du média (38% contre 28%). L’indépendance du média consulté est également plus souvent citée comme un critère de fiabilité par les hommes (36% contre 24% des femmes) et les répondants âgés de 65 ans et plus (41% contre 19% des moins de 25 ans).

Focus : des 18-24 plus intéressés par les sciences, connectés et ouverts à l’IA que la moyenne du panel

Le Baromètre 2024 confirme plusieurs spécificités de la population des 18-24 ans. À rebours de certains discours ambiants, ils ressortent comment ayant des pratiques scientifiques plus élevées que la moyenne, que ce soit concernant la prise d’information régulière sur le sujet (79% contre 62% pour le panel – chiffre en hausse par rapport à 2023), les sorties dans des lieux de science (63% contre 40%) ou la pratique d’activités scientifiques (60% contre 41%).

Sur le plan des pratiques informationnelles, le primat d’Internet (72%, en hausse de 5 points par rapport à 2023) et des réseaux sociaux (63%, en hausse de 9 points) comme principales sources d’information, tous sujets confondus, s’affirme, alors que la télévision (40%) et Internet (dans une proportion moindre que pour les jeunes, 49%) prédominent pour l’ensemble du panel. La presse papier recule aussi fortement dans leurs usages (22%, -8 points). Néanmoins, ces pratiques ne s’accompagnent pas d’une confiance équivalente, la confiance envers tant Internet (40%) que les réseaux sociaux (30%) baissant fortement (-12 points) par rapport à 2023 (c’est la radio qui domine sur ce plan chez les jeunes, à 54%, soit +5 points).

Pour ce qui est des débats sur des sujets de société ou scientifiques avec leur entourage, la préférence de cette partie de la population pour échanger avec des personnes qui partagent leur opinion s’accentue (64% - en hausse de 7 points – contre 46% pour l’ensemble du panel).

Enfin, les 18-24 ans ont davantage confiance en l’IA (pour tous ses types d’applications) que la moyenne du panel, différentiel qui se retrouve dans leur connaissance des IA génératives, et dans l’usage qu’ils en font (46% des jeunes interrogés ont déjà utilisé une application de l’IA générative, soit deux fois plus que la moyenne du panel, qui se situe à 23%).

Les résultats du baromètre en infographie